LE BOUDDHISME EST-IL UNE RELIGION ?
On a toujours opposé le Bouddhisme, une philosophie donnant la primauté à la raison, aux religions révélées comme le Christianisme. Certains auteurs considèrent le Bouddhisme comme athée.
Ils invoquent à l’appui de leur façon de voir le fait que le terme « Dieu » ne se trouve jamais mentionné dans les textes Bouddhiques.
Mais le Bouddhisme, le Ch’an et le Zen sont au-delà des catégories d’athéisme et de Théisme. Si le terme « Dieu » n’apparaît jamais dans les textes, on y trouve des expressions comme la « Pure Essence », la « Base du Monde », le « Mental Cosmique » ou le « Corps du Bouddha ».
Les Eveillés considèrent que le Dieu dont parlent les Occidentaux n’est, dans la religion exotérique, qu’une projection mentale de leur propre esprit portant les empreintes des limitations de celui-ci. Cet anthropomorphisme leur paraît simpliste. Pour le Zen, penser Dieu c’est nier Dieu. Ce faisant, il ne nie pas l’existence du Divin. Il attire simplement notre attention sur le fait que la pensée est incapable de nous représenter la Réalité Suprême. De ce fait, tout travail mental, loin de nous aider, risque au contraire de nous éloigner du but que nous souhaitons atteindre.
Platon nous enseignait qu’à chaque besogne doivent correspondre des outils adéquats. Le domaine du Réel ou Mental Cosmique est d’une subtilité telle que la pensée est un outil trop lourd pour pouvoir s’y exercer adéquatement.
Si le Bouddhisme parle peu d’un Dieu semblable à celui du Catholicisme, il se préoccupe cependant de nous délivrer des rêves de l’ignorance et de l’illusion qui nous privent de l’accès au Divin. Le Mental Cosmique du Zen est le centre vers lequel tendent tous les efforts (ou les non-efforts) de ceux qui suivent cette voie.
Le Bouddhisme, le Ch’an et le Zen sont profondément imprégnés de la notion d’unité d’une essence divine. Cette essence forme la réalité cachée des êtres et des choses. Sa perception implique le dépassement de nos valeurs habituelles.
Dans cette optique, la Réalité n’est pas une chose dont on discute. Elle doit se vivre. Elle se vit dès l’instant où l’esprit se délivre de ses valeurs anciennes, de ses attachements, de ses identifications.
Le Divin n’est pas distinct de nous. Nous le sommes mais ne le savons pas. Ainsi qu’il est dit dans la Bible: « Nous avons des yeux mais ne voyons pas ».
Le fait de déclarer que « nous sommes le Divin » ne comporte aucun caractère exclusif ou limitatif. Nous le sommes au même titre que le sont les pavés et la branche morte que nous foulons au pied (épisode de Jésus et le cadavre de chien).
Maître Eckhart évoque un climat s’approchant du Zen :
« C’est dans la mesure où l’homme se connaît lui-même qu’il parvient à connaître Dieu. Où je suis, là est Dieu, cela est la pure vérité. L’homme est en vérité Dieu et Dieu est en vérité l’homme.
L’Ame (après sa délivrance) a perdu son nom dans l’unité de l’essence divine, c’est pourquoi là, elle ne s’appelle plus Ame, son nom est Essence incommensurable ».
Si par religion nous entendons un ensemble de dogmes imposés et de rites accomplis, les formes élevées du Bouddhisme, le Ch’an et le Zen ne sont pas des religions au sens de l’exotérisme occidental.
Si par religion nous entendons un enseignement visant à dépasser les apparences du monde sensible et l’égoïsme en nous libérant de l’ignorance et de l’attachement, alors on peut parler de religion car cette libération permet en effet d’être relié au Principe Suprême.
Il existe des formes inférieures du Bouddhisme (comme l’Amidisme) qui sont conformes au sens occidental exotérique du mot religion. Le Ch’an et le Zen sont eux profondément religieux au sens de « religare », réunir, lier à nouveau. L’homme religieux tente de découvrir le lien secret qui l’unit à la présence divine qui demeure en lui-même et en toutes choses.
En fait, les caractéristiques du Bouddhisme, du Ch’an et du Zen peuvent s’appliquer au Christianisme ésotérique:
-Absence de dogmatisme, apprentissage de la liberté.
Il n’y a pas d’intermédiaire entre nous et la Vérité qui se trouve dans notre cœur. Les Maîtres se bornent à montrer la route, à témoigner d’un chemin vécu; mais le disciple doit parcourir les étapes par lui-même, par ses propres efforts, par sa propre lucidité.
– Les notions de Péché Originel et de rémission des péchés par le sacrifice de Jésus-Christ et la confession sont étrangères au Bouddhisme comme au Christianisme véritable. Chaque être humain est responsable de ses misères et de ses joies. Lui seul peut défaire les liens qui l’attachent à la roue des incarnations.
– Danger de la philosophie au sens de spéculation intellectuelle. Si le Bouddhisme utilise la pensée, c’est pour faire comprendre qu’elle doit être dépassée. Un Maître Zen déclarait qu’il faut beaucoup parler avant d’atteindre le vrai silence.
« Si tu peux garder le silence dans ton vouloir et tes sens, tu entendras les paroles de Dieu, inexprimables. Dieu lui-même entendra et verra par toi ». Maître Eckhart
– Connaissance de soi, des « forces d’habitude » qui asservissent le mental.
– Existence d’une Réalité supérieure source de toutes choses, existant en chaque être et chaque chose, que l’on appelle Mental Cosmique, Nature de Bouddha ou Dieu. L’illusion où nous plonge notre Moi nous a coupés de la Vérité et nous devons la libérer à nouveau en nous.
– La Trinité « Dieu Fils Saint Esprit » se retrouve dans le triple corps du Bouddha:
Dharmakaya l’Essence
Samboghakaya la Potentialité
Nirmanakaya la Manifestation
La trinité « Esprit Ame Corps » s’appelle dans le Bouddhisme: Esprit, Psychisme et Matière.
– La mort la plus importante se situe sur le plan « psychologique ». Elle n’est pas une défaite mais une victoire. Nous sommes alors la vie qui est au-delà de la naissance et de la mort.
« Personne n’est riche de Dieu qui n’est complètement mort à soi-même« . Maître Eckhart
– La réincarnation: Chaque existence se traduit par un ensemble d’expériences qui se résume sous la forme d’un faisceau de tendances, le Karma. Après la mort physique et la désintégration des éléments psychiques inférieurs, les couches les plus profondes de notre structure, formées par une énergie subtile, conservent les empreintes de ce bilan psychique. C’est de celui-ci que dépend le choix de la nouvelle incarnation.
Mais le Bouddha accordait une importance secondaire à la réincarnation, puisque son but était d’en libérer les hommes.
La codification et la systématisation rigide des enseignements d’un envoyé n’ont jamais été faites par lui-même mais par ses disciples. La peur, la recherche d’une sécurité facile, l’inertie mentale et le culte de l’autorité sont les facteurs dominants de la déification progressive du Maître. Mais l’essence reste toujours la même.
Ce qui tient lieu de « Réalité Divine » chez les occidentaux est désigné par « Mental Cosmique » dans le Zen, par « Non-réalité » dans le Ch’an, par « Tao« , « Cela’, chez Lao Tzu.
La couleur de l’enseignement peut varier mais le message apporté reste le même: Le royaume du monde phénoménal est le Mental
Cosmique, la Réalité Divine saisie dans une perception erronée. L’homme doit s’éveiller de son sommeil de mort afin de retrouver l’usage de ses sens et réintégrer la Patrie Perdue, l’état divin.
CITATIONS
« De nos jours, les gens ne cherchent plus qu’à s’empiffrer de connaissances et de déductions, accordant leur confiance aux explications écrites et ils appellent cela la pratique. »
Huang Po ( – 850)
Le Zen qualifie toutes les méthodes pour parvenir au Tao de « Jambes de Serpent« , c’est à dire de servitudes parfaitement superflues.
« Si la vérité est déjà manifeste, à quoi bon méditer? Et si elle est cachée, on ne fait que mesurer l’obscurité.
Mantras et tantras, méditation et concentration, ce sont des sources d’erreur. Ne vous corrompez pas dans la pensée contemplative qui est pure d’elle-même, mais restez dans le bonheur de vous-même et cessez ces tourments.
Quoique vous voyiez, c’est cela; devant, derrière, dans les dix directions, aujourd’hui même, laissez votre Maître abolir l’erreur!
La nature du ciel est primitivement claire, mais à force de contempler, la vue s’obscurcit. »
Saraha Ouvrage Tantrique du l0ème siècle
« Les pensées vont et viennent d’elles-mêmes car, par la pratique de la Sagesse, il n’y a pas d’inhibition.
C’est la libération naturelle (le Samadhi de Prajna).
Telle est la pratique de la non-pensée (Wu-nien). Mais si vous ne pensez à rien du tout, et si vous commandez à vos pensées de cesser immédiatement, vous vous enchaînez alors par une méthode et une vue stupides. »
« Se concentrer sur l’esprit et le contempler jusqu’à ce qu’il ait atteint la sérénité est une maladie et non Dhyâna. Discipliner son corps en restant assis pendant longtemps, quel intérêt cela a-t-il pour parvenir au Dharma? Si vous commencez à concentrer l’esprit sur le calme, vous n’aboutirez qu’à un calme factice. »
Le mot méditation (Ts’o-ch’an) signifie « absence de barrière, d’obstacle ». Le mot « assis » (Ts’o) signifie: ne pas agiter les pensées dans l’Esprit. » Hui-neng (638-713)
« Partir à la recherche de la nature de Bouddha, c’est comme partir à la recherche d’un bœuf que l’on chevaucherait ».
Po-chang (720-814)
« Celui qui cherche le Bouddha le perd ». Lin-chi
La vie Zen commence au moment où il n’y a plus rien à poursuivre, plus rien à convoiter. Notre Soi réel, non-conceptuel, est déjà le Bouddha et n’a nul besoin d’être perfectionné.