LE RENARD, LA CAILLE ET LA SOURIS
Par un beau jour de printemps, un couple de Renards assis devant leur terrier regardait leurs trois petits s’exercer à la lutte.
Le plus jeune, lassé de ce jeu, décida de partir explorer les environs. Il courut à travers le pré, puis pénétra dans la forêt. Soudain, il tomba nez à nez avec une petite Caille qui avait elle aussi abandonné son nid pour partir à l’aventure.
Etant encore ignorants des mœurs de leurs familles respectives, ils commencèrent à jouer ensemble. Renardeau étant conscient de sa supériorité physique, prit soin de ne pas la bousculer comme il le faisait avec son frère et sa sœur.
Ils prirent ainsi l’habitude de se rencontrer pour jouer, parler, découvrir le monde ensemble.
Mais cette relation particulière finit par se savoir. Le père de Renardeau lui expliqua que depuis toujours le monde était séparé entre les prédateurs, dont il faisait partie, et les proies comme les Cailles, celles-ci leur servant de nourriture : les faibles nourrissent les forts. Et donc il lui interdit de revoir son amie à moins de la ramener pour le diner de la famille.
De son côté, Petite Caille fut également admonestée par ses parents qui lui demandèrent de ne plus se montrer aussi imprudente car elle faisait partie de la catégorie « gibier » et son ami finirait par la tuer et la manger.
Mais Petite Caille ne les crut pas car elle ressentait le lien profond qui s’était créé entre eux, elle pensa que l’amitié était plus forte que les instincts naturels hérités de leurs familles.
Renardeau se désolait à l’idée de ne plus rencontrer son amie, il alla voir sa grand-mère pour lui demander conseil et comprendre pourquoi il en était ainsi depuis toujours. Elle lui dit que malheureusement pour lui ses parents avaient raison, cette amitié contre nature ne pouvait perdurer. Elle ne put lui donner les raisons profondes de cet état de fait, mais lui conseilla d’aller voir Dame Rose, un être de grande sagesse qui demeurait plus haut au cœur de la montagne.
Cela lui sembla raisonnable. Plein d’espoir, il se précipita pour aller la rencontrer. Son frère et sa sœur le voyant courir se joignirent à lui.
Ils arrivèrent hors d’haleine devant un majestueux buisson couvert de fleurs de toutes les couleurs, rouge, jaune, corail… et bien sûr rose.
Quelques animaux étaient déjà là pour écouter Dame Rose, un Hérisson, une Grenouille, plusieurs Mésanges et deux Souris.
Effrayés par l’arrivée brutale des Renards, ils s’écartèrent prudemment, sauf le Hérisson qui déploya ses piques.
» Dame Rose, ma grand-mère m’a dit que vous pourriez m’aider. Je me suis lié d’amitié avec une petite Caille mais nos parents disent que cette relation n’est pas possible. Pourquoi une telle injustice et est-il possible de vaincre cet héritage de notre nature ? «
Elle le regarda avec compassion et lui dit : » Oui, c’est possible, mais il y a pour cela un chemin à suivre qui peut être ardu. Es-tu prêt à affronter les obstacles que tu rencontreras sur cette voie ? «
» Absolument, je veux vivre en accord avec ce que je ressens.
Dame Rose, donnez-moi la direction. «
Dame Rose lui indiqua alors le chemin :
« Tu dois te rendre au sommet du Mont Aquilin, mais avant il te faudra descendre dans la Grotte du Souvenir. »
Le petit Renard était perplexe car il ne connaissait pas ces lieux.
A ce moment-là, une Souris s’approcha et lui dit : « Je m’appelle Chota, je connais le chemin, si tu le veux, je pourrai te le montrer. «
Renardeau émit un « oui » enthousiaste et la Souris grimpa sur son dos. Puis il se retourna vers son frère et sa sœur et leur proposa de l’accompagner. Ceux-ci déclinèrent l’invitation : » nous sommes heureux au terrier avec nos parents, nous ne voulons pas changer de vie. Bonne chance et reviens-nous vite. » Sur ce, ils firent demi-tour et partirent en courant rejoindre leur famille.
Dame Rose lui donna sa bénédiction afin qu’il trouve ce qu’il cherchait.
Renardeau se précipita sur la route, si vite qu’à un moment il ne vit pas un animal qui traversait la route et le bouscula.
Blaireau, furieux, l’admonesta : « Vous pourriez faire attention où vous allez ! »
Renardeau en convint et s’apprêtait à s’excuser mais Souris le devança et répondit :
« Où nous allons ? Au Mont Aquilin ! ».
« Si c’est ainsi, très bien, continuez sur cette route et vous le trouverez. »
Et Blaireau fit demi-tour et s’enfonça dans le bois.
Sur ces indications, ils arrivèrent devant une grotte. En surgit un ours énorme qui se dressa devant eux en poussant un grognement terrifiant :
» Qui êtes-vous pour me déranger ainsi, l’accès à cette grotte est réservé uniquement à ceux qui le méritent. «
Effrayé, Renardeau recula d’un pas mais la Souris sauta sur sa tête et se dressa de toute sa petite hauteur devant l’Ours :
» Maître Ours, nous venons suite au conseil de Dame Rose, nous avons le droit de pénétrer dans la grotte afin que mon ami Renardeau trouve la réponse à son problème ».
« D’abord, je ne suis pas « Maître », vous êtes vous-même les Maîtres, et je suis à votre service. Si vous venez au nom de Dame Rose, alors entrez et pénétrez jusqu’à la grande salle au fond de la Grotte du Souvenir. Bin va vous conduire. » Une Mouche Bleue perchée sur son épaule s’envola et vint voleter devant eux.
« Qui m’aime me suive ! Et qui ne m’aime pas aussi. »
Renardeau dit qu’il était d’accord, ils entrèrent et avancèrent dans l’obscurité. Ils suivirent la lueur émise par la Mouche Bleue.
Il trouva que la Nature était bien faite car elle lui apportait son aide à chaque étape.
Un renard blanc les dépassa en courant et disparut aussitôt. Renardeau pensa qu’il s’agissait sans doute d’un fantôme. Peut-être son Grand-Père… Il regretta de ne pas avoir eu le temps de lui parler. Les parois de pierre se mirent à rougeoyer, laissant apparaître des formes plutôt effrayantes mais ils continuèrent et arrivèrent devant une immense salle où tout un monde d’insectes grouillaient dans tous les sens : cafards, scorpions, araignées, punaises…
De ce chaos, surgit une grande Araignée qui se présenta :
« Je vois que Bin nous amène des visiteurs souterrains. Bienvenue, je suis Kara, la gardienne du lieu. Avancez jusqu’au centre de la grotte. »
Chota eut peur de ce spectacle assez terrifiant et hésita. Renardeau décida que lui non plus n’irait pas.
Alors Kara leur expliqua qu’il ne fallait pas se laisser impressionner par l’aspect repoussant de ces créatures car elles étaient utiles et ne faisaient qu’accomplir la tâche que Dame Nature leur avait confiée. C’était sans doute vrai.
Ils allèrent alors au centre de cette immense salle et ils virent tous ces êtres sombres se ranger en bon ordre sur les côtés et leur faire une véritable haie d’honneur.
L’Araignée Kara qui les avait suivis leur dit :
« Vous avez franchi la première étape, bravo. Mais maintenant vous devez vous présenter devant la Porte de Lumière qui est au sommet de la montagne. »
Renardeau tourna la tête pour regarder Souris, mais celle-ci ne connaissait pas la suite du chemin.
Kara comprit leur interrogation et sourit.
« Je pourrais vous porter sur mon dos et grimper sur la paroi jusqu’en haut, mais cela serait plutôt inconfortable, pour vous comme pour moi. Je vais demander de l’aide. »
Un bruit d’ailes leur fit lever la tête et ils virent une grande ouverture circulaire au milieu de la voute à laquelle ils n’avaient pas prêté attention.
En surgit un magnifique Dragon aux écailles mordorées qui se posa devant eux. Il pencha sa tête, jusqu’à les toucher.
Renardeau et Souris étaient tétanisés et ils se demandaient s’ils n’avaient pas été trop présomptueux, Dame Rose ne leur avait pas dit qu’ils devraient affronter un Dragon. Il releva la tête et leur dit :
« Mon nom est Kunda, je vois que vous êtes dignes de vous présenter devant la Porte de Lumière, je vais vous y conduire. »
Le Dragon se coucha afin de leur permettre de monter sur son dos puis battit des ailes pour s’élever. Renardeau s’accrocha comme il pût aux écailles et Souris fit de même avec la fourrure du Renard.
Ils s’élevèrent ainsi jusqu’au faîte de la montagne.
Kunda se coucha à nouveau et les deux amis descendirent. Devant eux, une lumière intense, blanche mais contenant également toutes les couleurs de l’Arc en Ciel, dessinait une ouverture. Elle était aussi puissante que celle du Soleil qui illuminait le Mont Aquilin et faisait resplendir les écailles dorées du Dragon.
Renardeau et Chota s’avancèrent et passèrent la porte.
Un paysage idyllique se présenta à leurs yeux.
Un troupeau de Gazelles broutait au côté d’un groupe de Lions.
Une famille de Lapins avait creusé son terrier au pied d’un rocher sur lequel un couple d’Aigles avait construit son aire pour accueillir leur progéniture.
Et des buissons de roses étaient éparpillés un peu partout. Renardeau comprit alors d’où venait Dame Rose.
Un Lion majestueux vint les trouver et leur dit :
« Mes amis, bienvenue dans le Jardin d’Eden. »
Le Petit Renard lui demanda s’il pouvait venir vivre ici avec la Petite Caille, Souris et d’autres animaux.
« Oui, ce lieu vous attend. Mais c’est trop tôt pour l’instant, vous devez retourner dans votre monde, vivre votre vie d’animal durant le temps qui vous a été imparti en gardant toujours à l’esprit le domaine que vous venez de découvrir et en partageant avec d’autres cette vision. »
« Mais pourquoi les animaux s’entre-dévorent-ils chez nous ? »
« C’est une longue histoire, lorsque la Grande Puissance a créé le monde, tous les êtres vivaient en harmonie. Comme ils étaient libres de choisir leur voie, certains se fourvoyèrent par orgueil et désir égoïste. Mais la possibilité de revenir ici existera toujours. »
Renardeau et Souris, un peu déçus, firent demi-tour et virent le Dragon qui les attendait car il connaissait la voie à parcourir.
A nouveau, il les fit monter sur son dos et s’envola pour les ramener chez eux.
Arrivés près de son terrier, Renardeau conseilla à Souris d’aller l’attendre plus loin et il rejoignit sa famille. Il raconta son aventure, décrivit avec enthousiasme le Jardin d’Eden. Mais son père et sa mère n’étaient pas intéressés par ses histoires et étaient désolés que leur fils n’ait pas perdu ses illusions d’une société idéale et allèrent chasser.
Son frère et sa sœur lui posèrent quelques questions puis retournèrent jouer.
Triste, Renardeau courut voir son amie la Caille qui l’accueillit avec joie. Après avoir échangé sur ce qui s’était passé durant leur séparation, il lui proposa de l’accompagner pour retrouver Chota.
Lorsqu’ils la trouvèrent, elle était toute excitée car elle avait trouvé un lieu qui, s’il n’était pas le Paradis, s’en rapprochait.
Toute une petite communauté d’animaux vivait là, ceux que Renardeau avait rencontrés chez Dame Rose ainsi que d’autres. Il les salua pendant que Souris rejoignait Neko, un Chat qui voulait qu’elle lui raconte dans le détail tout ce qui lui était arrivé.
Leur nouveau lieu de vie était bordé d’un côté par un champ de Tournesols, occupés à saluer l’Astre du Jour.
Une rivière, nommée Aquiva, coulait paisiblement le long de leur domaine. Les animaux s’y plongeaient de temps en temps pour profiter de sa fraîcheur revigorante.
Alors qu’ils devisaient gaiement, commentant les expériences de chacun, le Roi Lion apparut au milieu d’eux. Impressionnés, tout le monde se tut.
Renardeau, qui avait déjà fait sa connaissance et savait qu’il était un être de grande bonté, s’avança pour le saluer.
Lion prit la parole pour les féliciter d’avoir trouvé un endroit idéal pour former leur petite communauté :
« Chers amis, tous les animaux rassemblés ici sont destinés à vivre une grande aventure, tous ensemble. »
Une Carpe sortit alors la tête hors de l’eau.
» Les animaux et bien sûr aussi les poissons »
Un Corbeau, avec l’insolence caractéristique de son espèce, se posa sur la tête de Lion.
« Et tous les oiseaux »
Un Serpent se glissa entre ses pattes.
« Oui, toi aussi » Quelques Abeilles se mirent à tourner autour de sa tête, formant une couronne.
Une colonne de Fourmis vint se placer devant lui en arc de cercle, prêtes à écouter sa Parole.
« Et bien sûr tous les insectes »
Soudain un coup de vent fit s’agiter les herbes, les fleurs et les feuilles des arbres.
Un grondement sourd surgit de la Terre et un léger tremblement la secoua.
« Tous les règnes, minéral, végétal, animal, sont appelés un jour à vivre ensemble dans le Jardin d’Eden qui est notre lieu d’origine à tous, en Paix, Joie et Harmonie.
A bientôt »
Ayant dit, Lion disparut.