NJEDDO DEWAL

NJEDDO DEWAL

CONTE INITIATIQUE PEUL

Avant d’aborder le conte proprement dit, quelques mots sur la cosmogonie Peul:

Avant la création du monde, avant le commencement de toutes choses, il n’y avait rien, sinon un Etre. Cet Etre était un vide sans nom et sans limite, mais c’était un vide vivant, couvant potentiellement en lui la somme de toutes les existences possibles.

Le Temps infini, intemporel, était la demeure de cet Etre-Un: GUENO, l’Eternel, qui est, pour les Peuls, le Dieu créateur suprême. Celui-ci voulut avoir un interlocuteur; il créa l’œuf cosmique qui contenait toutes les forces, les connaissances de l’univers visible et invisible et le confia au Temps Temporel.

                        Un être unique ne peut se connaître (cf J. Böhme), il a besoin de se voir dans un reflet. Nous sommes le miroir dans lequel Dieu peut se voir et se connaître, c’est pourquoi il a créé l’homme à son image.

Guéno les mélangea, puis soufflant dans ce mélange une étincelle de son propre souffle igné, il créa un nouvel être: NEDDO, l’Homme Primordial.

Synthèse de tous les éléments de l’univers, les supérieurs comme les inférieurs, réceptacle par excellence de la Force suprême en même temps que confluent de toutes les forces existantes, bonnes ou mauvaises, Neddo reçut en héritage une parcelle de la puissance créatrice divine, le don

de l’Esprit et la Parole.

Guéno enseigna à Neddo, son interlocuteur, les lois d’après lesquelles tous les éléments du cosmos furent formés et continuent d’exister. Il l’instaura Gardien et Gérant de son univers et le chargea de veiller au maintien de l’harmonie universelle.

La notion de « vide vivant » ou de « vide sans commencement » qui figure dans le mythe Peul n’est pas sans évoquer des notions existant ailleurs comme le Tao, le »non-être », en Extrême Orient.

Guéno est un être incréé, sans corporéité ni matérialité aucune (d’où l’idée de vacuité), mais il est en même temps source et principe de toute vie. La tradition Peul distingue 2 sortes de vies: la vie éternelle, principielle, propre à Guéno seul; puis la vie contingente, propre à tous les

êtres créés (et même les êtres supérieurs des mondes subtils, ce que nous appelons la sphère réflectrice). La vie sortie de l’Oeuf primordial est une vie contingente. Comme telle, elle suit la loi de cause à effet, la loi de Karma.

Notons qu’en Bambara, un autre peuple africain, le mot « fan », qui signifie œuf, veut dire également forge. Le forgeron, considéré comme le premier fils de la terre, transforme la matière pour

créer des objets. Il est donc le premier imitateur de l’Homme Originel qui travaille la matière primordiale pour la manifester dans le sens voulu par Dieu. Son atelier est le reflet de la grande forge cosmique.

Tous les objets y sont symboliques et tous les gestes qu’il y accomplit sont rituels.

On retrouve ici les éléments de la Sainte Trinité, Dieu qui se manifeste

dans l’Esprit Saint par l’intermédiaire de son fils Jésus-Christ, ou le

corps du Bouddha qui est triple: l’Essence, la Potentialité et la Manifestation.

Neddo, l’Homme Primordial, engendra Kîkala, le premier homme terrestre (Adam), dont l’épouse fut Nâgara. Kîkala engendra Habana-Koel: « Chacun pour Soi ». Ce nom seul suffit à nous faire comprendre la raison de la chute: l’égocentrisme, l’utilisation des forces

divines pour sa propre satisfaction et non plus dans le sens voulu par Dieu, c’est à dire pour le bien général de l’humanité et de tout l’univers. « Chacun pour Soi » engendra Tcheli:

« Fourche de la Route ». Ce nom encore évoque de façon très claire l’apparition de la dualité: Adam et Eve ont mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal.

Tcheli eut 2 enfants: .Gorko-mawdo, le « Vieil Homme », représenta la voie du Bien; et

Dewel-nayewel, la « Petite Vieille Chenue », représenta la voie du Mal. Njeddo Dewal est une incarnation de cette dernière.

Comme on peut le voir dans la généalogie qui descend

de Neddo, l’Homme Primordial, à un certain moment l’unité est rompue.

Deux voies apparaissent: celle du Bien avec le « Vieil Homme », et celle du Mal, du désordre, de l’anarchie, avec la « Petite Vieille Chenue ». La lutte entre le Bien et le Mal est monnaie courante dans les récits de la tradition africaine comme dans tous les contes et légendes.

L’homme étant le point de rencontre de toutes les influences (en tant que résumé de toutes les forces de l’univers et réceptacle de l’étincelle divine), le Bien et le Mal (les deux ordres de nature) sont en lui.

C’est son comportement qui fera apparaître l’un ou l’autre. L’initiation va consister, précisément, à remonter en soi même chaque degré de cette généalogie mythique afin de réintégrer l’état du Neddo primordial, interlocuteur de Guéno le Dieu Unique et gérant de la création, qui demeure

latent en chacun de nous.

Neddo, c’est l’homme pur, idéal. Cette notion recouvre à la fois l’homme et la femme, car on dit que Neddo contient en lui à la fois le masculin et le féminin, respectivement associés au ciel et

à la terre. Réaliser l’union du ciel et de la terre, c’est donc parvenir à l’état de Neddakou, l’état d’humanité parfaite, à la fois masculine et féminine.

                         L’Adam originel est un nuage de poussières qui sont tous les êtres vivants, la totalité de la Création. Donc « poussière tu redeviendras poussière » ne désigne pas le corps rendu à la terre mais le retour à l’état de l’Adam primordial.

                        Chez les Peuls, l’initiation peut s’entendre de deux façons qui, en fait, se complètent: il y a l’initiation reçue de l’extérieur et celle qui s’accomplit en soi-même.

L’initiation extérieure, c’est « l’ouverture des yeux », c’est à dire tout l’enseignement qui est donné au cours des cérémonies traditionnelles ou des périodes de retraite qui les suivent. Mais cet enseignement, il faudra ensuite le vivre, l’assimiler, le faire fructifier en y ajoutant ses observations personnelles, sa compréhension, son expérience.

En fait, l’initiation se poursuit tout au long de la vie. Un texte Peul dit: « L’initiation commence en entrant dans le parc, elle finit dans la tombe ».

L’enseignement est donné à travers des contes initiatiques comme Njeddo Dewal, qui signifie la « Femme septénaire ». C’est un récit présentant une abondance de folles péripéties, des combats fantastiques, des voyages périlleux, des aventures sans cesse renouvelées jusqu’à l’heureux dénoue-

ment final. Ce conte est l’image même de la vie: la lutte entre le Bien et le Mal est toujours à reprendre, autour de nous comme à l’intérieur de nous même.

Comme tous les contes initiatiques Peuls, Njeddo Dewal peut être lu (ou entendu) à plusieurs niveaux. C’est d’abord un grand récit fantastique et féerique propre à charmer et à distraire les

petits et les grands. C’est ensuite un conte didactique sur les plans moral, social et traditionnel où l’on enseigne, à travers des personnages et des évènements typiques, ce que doit être le comportement humain idéal.

Enfin, c’est un grand texte initiatique dans la mesure où il illustre les attitudes à imiter ou à rejeter, les pièges à discerner et les étapes à franchir lorsqu’on est engagé dans la voie difficile de la conquête et de l’accomplissement de soi.

En face d’une Njeddo Dewal agent du mal presque toute puissante, s’appuyant uniquement sur ses propres pouvoirs et la maîtrise de certaines forces magiques, apparaissent des personnages qui incarnent les plus nobles qualités humaines et dont la vraie force, finalement, sera de

faire à chaque fois confiance à la Providence au péril de leur vie.

N’oublions pas que les mythes, contes, légendes ou jeux d’enfants ont souvent constitué, pour les sages des temps anciens, un moyen de transmettre à travers les siècles, d’une manière plus ou

moins voilée, par le langage des images, des connaissances qui, reçues dès l’enfance, resteront gravées dans la mémoire profonde de l’individu pour ressurgir au moment approprié, éclairées d’un sens nouveau.

« Si vous voulez sauver des connaissances et les faire voyager à travers le temps, confiez-les aux enfants », disaient les vieux initiés Bambaras.

                        Finalement, entrer à l’intérieur d’un conte, c’est un peu comme entrer à l’intérieur de soi-même. Un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image et qui peut donc aider chaque chercheur à répondre à l’injonction qui lui est faite: connais-toi toi-même.

Njeddo dewal est un récit comprenant deux cycles:

Le premier retrace la quête de Bâ-Wâm’ndé, grand-père de Bâgoumâwel.

Bâ-Wâm’ndé, c’est l’homme Jean. Il est l’homme simple et bon, charitable et bienveillant envers tout ce qui vit. Avec sa femme Welôré, il incarne toutes les vertus humaines. Pour préparer la venue de son futur petit fils (c’est à dire Jésus, la Nouvelle Ame) qui seul pourra affronter la redoutable Njeddo Dewal, il n’hésite pas à se lancer dans une quête dangereuse qui le mènera jusqu’au cœur du territoire de la Grande Sorcière, qui représente le principe de vie de cette nature, le monde de la dialectique par opposition à Guéno, le monde de la statique.

Ame innocente et confiante, Bâ-Wâm’ndé ne se soucie point de lui même. Aussi Guéno, le Dieu Suprême, l’aidera-t-il à chacun de ses pas et la nature toute entière se mettra-t-elle à son service.

Accompagné d’un mouton miraculeux, symbole de la force divine manifestée dans notre monde, Bâ-Wâm’ndé ira d’abord délivrer Siré, un homme de grand pouvoir détenu prisonnier par Njeddo Dewal, c’est à dire l’être humain enchaîné à la roue des incarnations, le porteur d’image qui a en lui, en son cœur, l’étincelle divine endormie.

Ensuite, tous deux et leur mouton parviendront au terme d’une expédition

Particulièrement mouvementée, à libérer un Dieu asservi par Njeddo Dewal.

Cet exploit permettra de défaire les premiers nœuds du pouvoir maléfique de la « calamiteuse » et de préparer l’action future de Bâgoumâwel.

Le deuxième cycle est celui de Bâgoumâwel lui-même, Jésus, l’enfant prédestiné à la naissance miraculeuse, envoyé par Guéno pour triompher de Njeddo Dewal. Il incarne la noblesse, la bonté et la générosité, mais servies par une intelligence malicieuse et accompagnées des pouvoirs du prédestiné; il est le prototype de l’initié. Ses façons d’agir échappent à l’entendement humain (La sagesse de Dieu est folie auprès des hommes).

Il s’incarne sous la forme d’un enfant pour venir au secours du peuple Peul (le peuple élu, càd toute l’humanité) et le délivrer du maléfice qui le maintient sous la coupe de Njeddo Dewal. Tout ce qu’il fait, il le fait non par volonté personnelle, mais au nom du pouvoir et de la mission reçus de Guéno, alors que Njeddo Dewal, elle, agit toujours pour assouvir ses désirs personnels, fondant ses pouvoirs sur la capture et l’asservissement des forces intermédiaires (Dieux ou Esprits), des forces de cette nature, sans se référer à Guéno, le Créateur Suprême.

L’histoire commence par une description du paradis perdu, le Wâlo, qui signifie zone inondable, fertile, au pays mythique de Heli et Yoyo. Tout s’y trouvait en abondance, la mort y était rare, la maladie inconnue, les « savants » nombreux (au sens de Gnose, sagesse).

C’était un pays septénaire car 7 grands fleuves y serpentaient à travers 7 hautes montagnes tandis que l’on comptait 7 grandes plaines sablonneuses:

image du septénaire cosmique dont nous avons été rejetés dans le septième domaine. Ni venin de scorpion, ni venin de serpent n’y tuèrent jamais, rien ne pouvait causer de mal.

Ce conte fut créé pour instruire les Peuls, afin qu’ils n’oublient pas les évènements lointains qui ont causé la ruine de leurs ancêtres, leur émigration (involution dans la matière) et leur dispersion à travers les contrées. Afin qu’ils connaissent leur pays d’origine en ce monde, même s’ils ne peuvent le situer dans l’espace (car notre pays d’origine se situe en dehors de l’espace-temps).

Durant un temps si long qu’on ne saurait en dénombrer les jours, les Peuls vécurent heureux au pays de Heli et Yoyo. Mais à la longue ils se rassasièrent tant de ce bonheur qu’ils en devinrent orgueil-

leux et se perdirent eux-mêmes. Guéno, pour les punir, créa Njeddo Dewal, la grande mégère septénaire, mère de la calamité. Par l’action de celle-ci le malheur arriva sur Heli et Yoyo, en particulier:

« L’homme n’œuvrera plus que pour lui-même, il se donnera toujours raison, accusant son prochain de ses propres défauts. Chacun se vantera en dénigrant autrui, louant son propre travail, critiquant celui des autres ».

On voit bien ici que ce conte initiatique ne s’adresse pas seulement aux Peuls mais à tous. On comprend l’importance qui est donnée dans l’enseignement universel au travail de groupe et à la lutte en chacun contre la critique.

Njeddo Dewal entreprit d’édifier une cité invisible:

Wéli-Wéli, qui signifie « Tout doux ». Il n’était rien, en fait de jouissance matérielle ou de leurre spirituel, qui ne soit présent à Wéli-Wéli.

Car l’homme peut se perdre dans la satisfaction de ses désirs mais également, ébloui par un phénomène spirituel ou par sa propre réalisation, il perd de vue ce qui était le but réel de sa quête. Dans l’Hindouisme on appellerait Wéli-Wéli le pays de la Maya, de l’illusion, dont nous devons

déchirer le voile.

Njeddo dewal avait 7 filles (les 7 châkras) et attirait les candidats au mariage pour boire leur sang. Ses filles savaient les enivrer au point de ne plus savoir où ils se trouvaient. L’esprit affaibli, ils cessaient de raisonner, devenaient les esclaves de leur passion, momentanément ravalés au rang d’un animal. Les châkras ne permettant qu’aux forces de cette nature de pénétrer dans l’homme, celui-ci perd son humanité, abdique sa volonté, sa faculté de libre choix, et accepte de donner son sang à Njeddo Dewal; il donne son âme au diable par une signature de sang.

 L’âme naturelle, dont le véhicule est le sang, se trouve sous la coupe de Njeddo Dewal, l’ensemble des éons de la nature.

Au village de Hayyô, situé au pied de l’une des 7 montagnes de Heli et Yoyo, vivait un homme très bon appelé Bâ-wâm’ndé, « Père du Bonheur ». La plupart des habitants de Hayyô n’avaient pas péché

mais sans conteste le plus sage et le plus vertueux de tous était Bâ-Wâm’ndé. Ces habitants représentent le groupe des âmes qui n’a pas chuté et qui œuvre à la libération des âmes déchues (Shamballa).

Sa femme Welôré, « Tête douce chanceuse », fait un rêve qui annonce la venue d’un garçon prédestiné, fils de sa fille.

Avant sa conception cet être mystérieux s’incarnera d’abord en une grande étoile, symbole de l’âme renaissante. Puis cette étoile disparaîtra.

Elle sera dans les entrailles de la fille de Welôré où elle s’incarnera en un garçon dont la mission sera de vaincre Njeddo Dewal.

Bâ-Wâm’ndé est Jean, celui qui doit rendre droit les chemins pour son seigneur, préparer la venue de Jésus, il est le chercheur de vérité qui doit préparer la naissance de l’âme dans son microcosme.

Pour ce faire, il doit apporter un mouton blanc, Kobbou Nollou, la force de l’esprit, à un sourd muet borgne nommé Siré, prisonnier de,Njeddo Dewal. Il s’agit de l’homme qui, dans sa chute, a perdu conscience de son état divin et n’a plus l’usage de ses sens originels.

Njeddo Dewal le garde enchaîné car il connaît un secret qui pourrait causer sa perte: l’origine divine de l’homme. Il détient le secret qui enlèvera toute efficacité aux pouvoirs de la sorcière et la privera des moyens qui lui ont permis de ravager Heli et Yoyo: le bouton de rose, l’étincelle d’Esprit qui gît à l’état latent dans le cœur de l’homme.

Bâ-Wâm’ndé arrive à Weli-Weli devant une porte gardée par un être triple: une tête humaine surmontant un tronc d’arbre porté par deux pattes d’autruche; la porte de notre cœur gardée par les trois règnes vivants, humain, végétal et animal, qui sont sous la coupe de Njeddo Dewal.

Kobbou Nollou, le mouton, ouvre cette porte qu’aucune force naturelle n’aurait pu briser. Un grondement de tonnerre si violent qu’il fit trembler la terre fit s’évanouir Bâ-Wâm’ndé. C’est le mouton qui le réveille, signifiant ainsi un changement de conscience: la liaison directe qui s’établit entre le candidat aux mystères et le Royaume de l’Origine, l’éveil de la rose du cœur.

Njeddo Dewal n’a pas réussi à enlever le secret mortel pour elle qui gît en Siré (l’étincelle divine dans le coeur de chaque homme), ni à faire accepter à Siré de devenir son allié pour détruire le

Royaume Divin. Le seul pouvoir qu’elle ait est d’emprisonner Siré, emprisonner l’aspect divin dans la matière.

Siré est sauvé et libéré de ses liens par le sacrifice du mouton dévoré par les termites gardiennes de la prison: sacrifice de la lumière qui plonge dans les ténèbres afin de secourir les âmes déchues.

Siré est guéri de ses infirmités et retrouve l’usage de ses sens. la possibilité d’une liaison consciente avec le Divin est à nouveau possible. Il pardonne aux termites qui sont des forces de cette

nature et ont donc agi en fonction de cette nature.

Puis Bâ-Wâm’ndé s’envole sur un boa, envol qui indique un nouveau changement de conscience, la force du serpent est maîtrisée (chevauchée), la force de la Kundalini de la colonne vertébrale.

Siré lui recommande de ne pas s’effrayer des bruits qu’il entendra, et surtout de ne pas se retourner: on ne peut servir deux maîtres, il faut s’orienter sur le but à atteindre en toute confiance et sans s’accrocher à ce que l’on laisse derrière soi.

A ce moment là, Njeddo Dewal éprouve un malaise, elle ressent cette première atteinte à son pouvoir: la lumière s’est manifestée dans le microcosme. Elle lance toutes ses forces contre Siré et Bâ-wâm’ndé, Siré annihile les sept esprits lancés contre lui par la force de sa parole

(le verbe divin) puis ressuscite le mouton Kobbou Nollou: celui-ci est maintenant beaucoup plus grand, de la taille d’un pur-sang. La rose du cœur s’est éveillée et la force divine en l’homme se développe.

Njeddo Dewal essaie par tous les moyens de détruire Bâ-Wâm’ndé mais Siré le protège: l’homme sur le chemin de la renaissance bénéficie de la protection divine, il ne doit s’inquiéter que de son salut et tout lui sera donné par surcroît.

Le serpent est détruit et Bâ-Wâm’ndé se retrouve chevauchant Kobbou Nollou: nouveau changement de conscience, il s’appuie désormais sur la force du cœur.

Le trio se dirige vers une montagne, la montagne sacrée de l’initiation, frontière entre le monde visible des hommes et le monde caché du divin. Elle représente également un obstacle à franchir,

une épreuve (symbole de la verticalité, voie directe vers Dieu, qui permet de communiquer avec lui). Enfin, elle symbolise dans le chercheur le sanctuaire de la tête, le siège du mental; l’irruption de la force divine dans le centre de la pensée permettra une nouvelle compréhension.

                        Njeddo Dewal charge alors un de ses esprits d’aller détruire Siré et le mouton, l’âme et l’esprit. Elle lui dit:

« S’ils s’échappent, un grand malheur m’attend et, par voie de conséquence,

t’attend également ainsi que tous mes serviteurs ».

En effet la libération de toutes les âmes prisonnières de la nature de la mort signifie la disparition de celle-ci et de toutes les forces qui la sous-tendent, ainsi que de tous les esprits qui peuplent la sphère invisible de la terre, la sphère réflectrice.

Bâ-Wâm’ndé et Siré s’échappent encore grâce à Kobbou Nollou qui fait apparaître l’entrée d’un passage dans la montagne. Seul le regard miraculeux du mouton prédestiné peut faire voir l’ouverture secrète de la montagne. L’un de ses yeux est blanc, symbole de pureté: il peut donc voir le pôle spirituel ou caché des choses. L’autre est brun, couleur de la terre: il peut donc voir le pôle matériel. Le regard de Kobbou Nollou, comme celui de l’initié accompli, fait s’évanouir l’illusion et apparaître la réalité secrète cachée derrière les apparences.

L’irruption de la lumière du cœur dans le sanctuaire de la tête permet une nouvelle compréhension, la réalité de notre monde se dévoile devant le chercheur. Cette nouvelle connaissance va lui permettre de poser de nouveaux actes. la force divine va descendre le long de la colonne vertébrale jusqu’au sanctuaire du bassin, siège des forces karmiques.

Au milieu de cette montagne se trouve un lac immense et au milieu de ce lac une île où Njeddo Dewal a caché son fétiche qui lui permet de commander aux trois règnes minéral, végétal et animal.

Le trio va affronter les éléments de cette nature dans son voyage pour récupérer ce fétiche caché sous terre, la descente vers le sanctuaire du bassin: le feu lancé par Njeddo Dewal, l’eau, le vent, la terre. Ils traversent les flots déchaînés des passions et émotions qui agitent notre monde intérieur et qu’il faut apprendre à connaître et à maîtriser.

Ils font cette traversée sur le dos d’une tortue dont la carapace est un symbole de protection, c’est un animal à mi-chemin entre deux mondes, l’eau et la terre. Enfin sa prudence, sa lenteur, évoquent le temps de maturation de l’initiation.

Nos trois héros parviennent sur l’île qui est le domaine de la Reine Scorpion (le scorpion est en relation avec Pluton et le bassin). Ils sont avalés par un ver géant et emportés sous terre

(descente aux enfers). On retrouve dans le ver le symbole de la Kundalini.

Là ils trouvent la gourde contenant l’esprit Koumbasâra qui représente les puissantes forces de cette nature qui gisent en nous, dans le Sacrum, et qui sont esclaves de Njeddo Dewal.

La Reine Scorpion leur remet la gourde et grâce au regard divin du mouton, Koumbasâra est libéré de l’emprise de la « calamiteuse » et se met à leur service.

Les forces de ce monde ne sont pas mauvaises en soi, elles doivent être utilisées selon le plan divin. Koumbasâra se métamorphose en un aigle majestueux et les emporte sur son dos. La force contenue dans le sanctuaire du bassin a été purifiée par la descente de la lumière et se met au service du candidat aux mystères pour l’aider à continuer sa quête.

La force va remonter le long de la colonne vertébrale vers le cœur où naîtra 1’Ame Divine;

La deuxième partie du conte commence avec la naissance de Bâgoumawel, Jésus, l’Ame Divine.

Celui-ci doit lutter pour sauver ses sept oncles (les sept cavités cérébrales) que Njeddo Dewal cherche à piéger par l’intermédiaire de ses sept filles (Les sept cavités du cœur). Le triple chandelier à sept branches est allumé en l’homme.

Il doit protéger le fils du roi enlevé par Njeddo Dewal, la nouvelle personnalité.

Puis il sauve les enfants de Heli, les jeunes âmes, tel un Boddhisattva qui apporte son aide à l’humanité.

Enfin, il est confronté directement à Njeddo Dewal, l’être auraI, qui apparaît sous la forme d’un monstre à trois yeux et sept oreilles. Il vainc grâce au salpêtre préparé par Bâ-Wâm’ndé (Salniter).

Le ventre de Njeddo Dewal se déchire et l’intérieur se répand. Au même moment, l’obscurité profonde qui avait submergé le pays se dissipe.

Au coucher du soleil on voit la multitude des étoiles scintillantes faire une couronne autour des douze signes du zodiaque et des 7 Astres assemblés.

                       Sur la Terre, les arbres fruitiers et les plantes médicinales reverdirent, les céréales remplirent à nouveau les champs, le lait redevint abondant…

                       Le pays tout entier se revivifie car le mauvais sort dont Njeddo Dewal l’avait frappé s’est évanoui. L’Esprit, tel un nouveau soleil, brille à nouveau dans le microcosme libéré et inonde de lumière l’Ame et le Corps ressuscité.

Alors apparut un nouveau Ciel et une nouvelle Terre.

Amadou Hampâté Bâ disait: « Lorsque, en Afrique, un conteur meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».

Afin de préserver cette connaissance, il décida de publier ces contes initiatiques Peul.

Amadou Hampâté Bâ est né au Mali en 1900, il meurt en 1991. Musulman, il passe pour avoir été un Maître Soufi.

Les Peuls constituent une population de six millions d’individus dispersés du Sénégal au Tchad. Leur origine serait Saharienne et blanche. Ils connaissent une initiation au pastorat qui comprend 33

degrés, de la naissance à la tombe. Ils ne constituent pas une race mais un groupe culturel très homogène de pasteurs nomades, attachés à leurs troupeaux.

Léopold S. Senghor disait: « Le noir est monothéiste. Si loin que l’on remonte dans son histoire et partout, il n’y a qu’un seul Dieu, qui a tout créé. Toutes les puissances, toutes les volontés des

Génies et des ancêtres ne sont que des émanations de lui ».

Le Cosmos est la propriété du Créateur de toutes choses, celui en qui tout trouve son origine, au ciel et sur terre (Yorouba du Nigéria).

Dieu apparaît comme l’acte incréé, c’est à dire simultanément Force Suprême, Créateur de toutes forces, principe de conservation, de cohésion et de renouvellement des forces (Diola du Sénégal).

La religion, chez les Wolof du Sénégal, c’est Yon, le chemin. L’initiation signifie mort et renaissance.

Chez les Kikuyu du Kenya, une femme de la famille de l’initié, de préférence sa mère, simule un nouvel accouchement. Etre initié, c’est avoir appris, douloureusement, que le passage par la mort est la condition même d’une vie féconde. L’initié reçoit un nouveau nom.

Plus qu’une connaissance, l’initiation est un acte engageant la totalité de l’homme. Celui qui aurait communication du seul savoir et qui voudrait s’en satisfaire, se méprendrait profondément sur la portée de ce qui est en cause. Il demeurerait étranger au dynamisme qui requiert toute l’énergie,

toute la volonté de l’initié.

Au total, le savoir est savoir d’une expérience. Se soustraire à l’expérience, c’est ne plus savoir.

L’animisme est une religion fondée sur l’existence d’une force vitale qui sous-tend toutes choses et n’est pas contradictoire avec le monothéisme. Il exprime simplement le fait que Dieu est présent en

tous et en toutes choses.

Le Zen l’exprime en disant que la Nature de Bouddha est présente aussi bien en chaque homme, même s’il n’en a pas conscience, que dans la branche morte abandonnée au bord du chemin.

L’initiation est un rituel de passage, parfois très long et très dur, où l’enfant (fille ou garçon), meurt à l’enfance et renaît à l’age adulte.

Les danses sont symboliques et font allusion à tel ou tel moment de ce processus mort-renaissance, lequel est lui-même intégré à l’histoire de la création du monde. Le système de correspondances qui associe les deux évènements constitue un savoir ésotérique, auquel l’initiation donne accès.

En Afrique, un personnage central de l’initiation est le forgeron, celui qui travaille le fer et le feu.

Le fer est en rapport avec Mars, le sang, l’aspect dynamique, l’individualisation de l’homme. Le feu est l’Esprit (volé par les hommes dans la tradition africaine comme dans le mythe de Prométhée et d’autres).

Dans sa forge, l’homme de l’art réalise l’union du fer et du feu, l’union du corps et de l’Esprit par l’intermédiaire de l’Ame, le souffle de l’air.

Chez les Bambara du Mali, la femme du forgeron est potière et sage-femme. Elle participe à la première naissance, le forgeron à la deuxième naissance par la pratique de la circoncision, l’entrée dans le monde des adultes. Ce couple aux pouvoirs mystérieux, après avoir pétri l’enfant comme de la glaise, lui insuffle l’Esprit.

Travail sur la matière: sans la parole, la technique demeure inefficace. C’est le verbe qui vient sous forme de chants, d’incantations, paroles rythmées, formules secrètes, spécifier un objet, lui donner

sa signification. Car seul le verbe peut agir sur le réseau de forces qui constitue le monde.

Technique verbale et technique manuelle sont étroitement liées. On peut s’étonner de voir les africains se défaire assez facilement de certains objets comme les masques et les statuettes après leur usage liturgique.

Mais en dehors de la danse, sorte de langage rythmé, le masque n’est qu’une chose morte. Privé du sens que lui confère le verbe, il redevient un simple objet de bois ou de bronze, inerte, sans vie propre.

Dans le mythe Yorouba, Shango est le Dieu des forgerons. Lorsqu’il était roi, il s’empara de la foudre grâce à un charme et ayant voulu l’essayer, il détruisit son palais et sa famille.

Pour désigner le soleil, certains peuples comme les Ashanti du Ghana emploient le même terme que pour Dieu, le soleil étant considéré comme une manifestation de Dieu lui-même. La lune est la femme de l’Etre Suprême.

Lissa, le soleil, et Mawu, la lune, sont le couple divin chez les Fon du Bénin.

Amadou Hampaté Bâ

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